Archives Meteo de Paris
(annales depuis 2003)
- L'obsession de la canicule et l'historique d'une sécheresse commentée
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2011
dim 16/05/11
Reprise des annales météo.
Depuis que ce journal a été arrêté, en
août 2010, il s'est passé tellement de choses....
D'abord un hiver ultra précoce, dès la fin-novembre, avec
des chutes de neige à répétition,jusque Noël, comme jamais je
n'en ai connu. Dès le début de novembre (le 5 )
même le vent du nord avait contrinué à nos donner
des températures glaciales.
Ensuite l'hiver s'est continué normalement, pas trop froid finalement, avec de la pluie assez abondante. A fin de l'hiver, on nous a dit que les nappes phréatiques étaient à un niveau normal.
Mais depuis Mars, c'est la sécheresse. Il n'a presque rien plu, sauf il y a 3 semaines pendant quelques heures.
Et aujoud'hui, miracle, une averse de quelques minutes.
Et en plus il fait frais.
Dans le ciel des nuages relativement serrés, ronds, peu importants, dits "de beau temps".
Devant cette sécheresse persistante, ,il est peut-être
temps de retirer de la malle, où je l'ai un jour
découvert, ce fameux "Journal de la grande sécheresse",
jamais réédité depuis, et d'en publier quelques
passages, qui vont nous édifier sur notre sort à venir.
En voici un premier extrait.
I - RASIBUS Les hommes portent les cheveux coupés très court, presque rasés. C'est pour des raisons pratiques disons-nous, puisque se laver la tête consomme ainsi moins d'eau. Mais l'argument ne convainc qu'à moitié, puisque les femmes ne les ont jamais eus aussi longs - (et, les scientifiques assurant que la chevelure des femmes dégage des arômes, à la limite du perceptible, des exhormones, qui attisent la sensualité, ceci explique peut-être la brillance anormale de beaucoup de regards). Il n'est pas exclu qu'inconsciemment nous obéissions plutôt à un mélange de superstition, de pénitence et de défi. Comme si, à l'envers de Samson, nous faisions le voeu de ne pas laisser repousser nos cheveux tant que la sécheresse durerait. Mais voeu adressé à qui? A quelle puissance mystérieuse? Tout cela reste à élucider. |
II - CLOCHARDS (1)
Mis à part les spéculateurs, et les fous (que la réalité devenue folle a persuadé de leur bonne santé), les clochards sont les grands bénéficiaires de la Sécheresse. Pour trois raisons.
La première est qu'il fait généralement beau. Pour eux qui ont tant
souffert dans le passé d'avoir été sans abri quand la pluie n'en
finissait pas de tomber,c'est une bonne raison d'être heureux.
La seconde est qu'ils sont
habitués de longue date au manque de propreté. Ils n'en ressentent aucun
désagrément supplémentaire, à l'inverse du reste de la population.La troisième enfin est qu'on ne les distingue plus. L'incroyable s'est réalisé : eux, les marginaux, les déchets de la société, voici qu'ils font à présent presque figure de gens ordinaires. Car ce ne sont pas les clochards qui ont dû changer leur mode de vie pour avoir l'air normaux, c'est nous qui avons franchi le pas qui nous séparait d'eux, qui avons fini par adopter leur allure. |
II - CLOCHARDS (2)
C'est que nous portons comme eux des vêtements tachés, maculés, ou, pour le moins, défraîchis et froissés. Les hommes sont nombreux à porter des barbes de plusieurs jours. Nous n'avons plus jamais les mains ni les ongles tout à fait nets. Bref, des rues de Paris, on dirait maintenant qu'elles ne sont pleines que de ces pauvres hères jadis cantonnés à certains quartiers. Comme si tout Paris s'était mis en conformité avec ses faubourgs du nord et de l'est. Cette impression tient pour beaucoup à l'allure générale des vêtements qui se mettent, à leur couleur surtout. Ce sont les couleurs ternes, comme le bleu pétrole, le bordeaux sombre, le vert bouteille, le kaki, le beige mastic, le gris anthracite, qui dominent, c'est à dire des couleurs un peu tristes, mais peu salissantes, sur lesquelles la crasse ne se voit pas du premier coup d'oeuil. Elles forment la toile de fond du paysage vestimentaire. Et puis, comme ces grands pauvres diables de sans-papiers qui, il n'y a pas si longtemps, arpentaient Paris vêtus avec une mode ou deux de retard, - grands échalas qui allaient en pantalons dits "à patte d'éléphant", en veste à l'emmanchure "en pagode", en chaussures à hauts talons "à la Richelieu", nous n'hésitons plus à porter des vêtements démodés. Nous les avons ressortis de nos malles et de nos greniers, ces vêtements que nous y avions remisés "au cas où". Nous les endossons avec joie, parce qu'ils sentent bon le propre et la naphtaline. Ils se saliront à leur tour, certes, mais d'ici là, peut-être que tout se sera arrangé! |
II - CLOCHARDS (3)
Toutes les modes qui se sont succédées depuis quinze, vingt, cinquante ans même, se côtoient dans les rues de Paris. Les Champs-Elysées, les Boulevards, ont pris un air intermédiaire entre le marché aux puces et le Carnaby Street des années soixante, ce qui fait le délice des photographes. L'étrange allure de cette nouvelle foule parisienne lui a valu de faire plusieurs fois la couverture de Newsweek, du Spiegel et d'autres grands hebdomadaires. |
III - PETIT CARNET JAUNE D'OR (1)
Nous sommes ficelés vivants à la nature moribonde. Condamnés à périr avec elle - horrible mort! A passer les derniers moments de notre existence l'oeuil rivé à la laideur croissante de nos riantes vallées d'hier et de nos enchanteurs sous-bois d'autrefois, les narines livrées aux puantes exhalaisons, l'oreille assaillie par les gémissements, les imprécations et les éclats de rire spastiques de la foule de tous ceux qui ont perdu la raison à cause de l'absence de pluie. Nous sommes comme ces malheureux prisonniers que "...les tartares attachaient vivants à des cadavres, ventre contre ventre, visage contre visage, bouche contre bouche, jusqu'à ce que le mort ait mangé le vivant"... raconte Malaparte. Nous aussi sommes mangés par ce qui est déjà mort. Et nous ne pouvons plus nous échapper, il est trop tard maintenant. |
III - VIEUX CUIR ET PAPIER NEUF (1)
Je dois me rendre dans quelques jours chez les X pour une partie "bonne bouffe" qui promet d'être sympathique. Pour l'occasion je cherche désespérément où j'aurais bien pu fourrer mon ancien blouson de cuir. J'espère que je ne l'ai pas jeté un jour d'autrefois, dans une de ces frénésies de rangement comme il nous en arrive tous. "A quoi bon conserver toutes ces veilles affaires?" se dit-on. Surtout à l'occasion d'un déménagement. ...... Les vêtements de cuir ont beaucoup de succès parce que, même salis, ils conservent belle apparence. La crasse, qui donne si vite un aspect misérable au plus beau vêtement de drap, au contraire donne au cuir un petit quelque chose en plus, cet aspect "vieux cuir", qui a du chien, et que les fabricants s'efforcent parfois de provoquer artificiellement. Comme pour le bois, la crasse s'appelle patine quand elle s'attache au cuir. |
III - VIEUX CUIR ET PAPIER NEUF (2)
De plus, si l'on considère maintenant non plus l'extérieur du vêtement, mais son intérieur, qui est en intimité avec notre corps, là encore, le cuir a vis-à-vis du tissu cet avantage de mieux supporter la transpiration. Par une secrète alchimie, le cuir métamorphose les senteurs de transpiration en une odeur qui n'a rien de désagréable, bien au contraire, quelque chose d'un peu musqué, fragrant, qui plait. Aussi, lorsqu'ils font l'article, les vendeurs insistent sur cet aspect olfactif de leur produit, sur les odeurs qu'il dégagera une fois porté ; certains vont jusqu'à faire respirer des échantillons de vieux cuir qu'ils conservent dans un tiroir pour donner une idée de l'odeur qui sera plus tard celle du vêtement, et qui dépend du procédé de tannage qui a été utilisé |
III - VIEUX CUIR ET PAPIER NEUF (3)
Pour pallier nos difficultés de nettoyage, il y a aussi les vêtements de papier, jetables. Mais ils ne sont guère agréables à porter, et, surtout, coûtent très cher. C'est qu'il nous faut importer tout notre papier, puisque sa fabrication est le type même de l'activité industrielle qui a dû tôt s'interrompre. Leur avantage est qu'ils délivrent du permanent, de l'obsédant scrupule de faire attention à ne pas les salir ; ils sont un repos pour l'esprit. Ce sont surtout les chemises de papier blanc qui remportent un franc succès - on les porte pour les fêtes -, bien que le problème de leur résistance au déchirement demeure. Leur solidité, qu'elle soit obtenue en jouant sur l'épaisseur ou la texture du papier, est inversement proportionnelle à leur souplesse, donc à leur confort. D'où la mode des chemises de papier très amples, "à la cosaque", qui permettent de donner de l'aisance à des vêtements sans souplesse. C'est ce modèle de chemise que j'ai l'intention de mettre pour aller à la soirée offerte par les X. |
IV - VAISSELLE (1)
On a pris l'habitude de manger plusieurs fois par jour et plusieurs jours de suite, toute une semaine généralement, dans la même assiette. On ne change d'assiette que pour le dimanche et les jours de fête. C'est avec le plus grand soin que chacun, retrouvant les bonnes manières qui lui furent inculquées dans son enfance par des parents ou des grands-parents qu'il jugeait alors d'une austérité ou d'une mesquinerie excessives, nettoie consciencieusement son assiette avec un morceau de pain après avoir avalé sa pitance, et la fait à la fin de chaque repas nette et propre, pour ainsi dire luisante comme un sou neuf ; c'est d'autant plus facile qu'il est d'usage de terminer chaque repas par un plat dont la sauce se ramasse aisément avec le pain ou, mieux encore, possède comme une vertu nettoyante. |
IV - VAISSELLE (2)
Il est amusant de constater combien l'art culinaire s'est adapté à la situation. Sont proscrites toutes les sauces qui maculent trop les assiettes et risquent de tacher nappes, serviettes, vêtements. Il serait même considéré comme franchement injurieux de servir à des convives des spaguettis à la sauce tomate, ou des écrevisses à la nage. |
IV - VAISSELLE (3)
Encore qu'à condition de s'être donné le mot à l'avance, de tels plats puissent être l'occasion d'une sacrée fête, entre copains, entre amis intimes, pleine de bonne humeur, de joie, de débordements de toute sorte, bref un grand défoulement, une véritable bacchanale. Mais c'est qu'on aura amené une tenue spéciale que l'on revêtira au moment de passer à table, pour le plus grand amusement de tous, petits et grands. On aura les bras nus, on sera habillé d'un très vieux vêtement qui ne craint plus rien, on sera caparaçonné de papier journal, et on aura coiffé un couvre-chef improvisé, fait lui aussi d'un journal plié ou d'un sac en plastique de supermarché. Et commencera le grand amusement! La rigolade! La fête! On aura bien entendu organisé le repas dans un lieu qui ne craint pas les giclures de sauce ; l'idéal sera de faire ça en plein air. C'est ce qu'avaient choisi de servir à manger les X , avant-hier soir : des écrevisses à la nage. Exprès, comme pour faire un pied de nez au destin, au triste sort qui nous est échu. |
IV - VAISSELLE (4)
Quoique par certains côtés on pourrait penser que nous en sommes revenus à une grande rusticité dans l'art de manger, en vérité, de manière générale, les bonnes manières n'ont jamais été poussées aussi loin, ni autant étendues à toutes les couches de la population. La difficulté de pouvoir se laver les mains après un repas oblige chacun à apprendre à utiliser le plus proprement possible ses couverts pour manger, quotidiennement. Manger son fromage avec une fourchette et un couteau, peler son fruit de même, habitudes qui passaient pour risibles hors de certains milieux, sont devenues tout à fait répandues, même chez soi, en famille, même dans les classes les plus modestes. Chacun s'efforce de tenir le plus correctement possible ses couverts, je veux dire les tenir par le manche, et uniquement par le manche, le plus loin possible de leur extrémité utile, prenant bien garde à ce que les doigts ne rentrent jamais en contact avec la partie proprement efficace, opérationnelle, du couvert, celle qui entre en contact avec la nourriture, la lame pour le couteau, les dents, ou même seulement la partie qui commence à s'incurver, pour la fourchette. C'est le règne de l'anti-MacDo. Terminé le bonheur transgressif du fast-food qui était de manger comme des primitifs, à mains nues. Dans ces gargottes, chacun y exige des couverts en plastique. Les hamburgers dégoulinants de sauce saisis à pleines mains, croqués à pleines dents, qui viennent ponctuer les vêtements de virgules crémeuses, on n'en veut plus. |
IV - VAISSELLE (5)
Pareil avec les verres à pied, qui sont sur toutes les tables, parce qu'en les tenant par leur tige on n'y laisse pas de traces de doigts visibles ; et chacun veille à s'essuyer régulièrement les lèvres avant de boire et après avoir bu, pour ne pas laisser l'empreinte de ses lèvres sur le gobelet. Il y a bien la possibilité d'utiliser de la vaisselle jetable... mais, c'est le même problème que pour le linge de papier : cela revient cher. Si bien qu'elle n'est guère utilisée - étonnant renversement des choses! - que dans de grands dîners, où l'on veut mettre ses hôtes à l'aise en leur évitant d'avoir à prendre des précautions particulières avec la vaisselle. Pouvoir mal se tenir à table, c'est à dire pouvoir se tenir "ordinairement", est devenu le comble du raffinement. |
IV - VAISSELLE (6)
Ainsi, la Sécheresse a-t-elle amené chacun à découvrir ou redécouvrir tout naturellement les bonnes manières, ces manières dites "distinguées", de se tenir à table - ce qui prouve que ces manières, bien loin d'avoir été, en leur origine, de pures conventions, un signe de ralliement entre gens du même monde, furent avant tout un moyen d'humaniser cette activité animale par excellence qu'est le manger. Comme quelques autres activités humaines, belles ou viles, le manger appartient à ces moments privilégiés où sous l'humain transparaît notre inquiétante nature animale, qu'il convient de policer sous peine que nos fragiles sociétés soient vite ravagées par la violence, et finissent par s'auto-détruire. |
IV - VAISSELLE (7)
Savoir ne pas se précipiter sur un aliment, et, dans ce but, savoir laisser les autres se servir avant soi, au risque qu'ils prennent le meilleur morceau, la plus grosse part, savoir se compliquer le geste de manger en utilisant des instruments au premier abord pas faciles à manier, qui nous ralentiront, savoir ne manger que lentement, bouchée par bouchée, savoir ne pas conserver en permanence ses couverts à la main, ne pas "porter armes" comme l'on dit aux enfants, comme si l'on était à la curée, ou à un méchoui, - où alors il s'agit effectivement de ne pas perdre une seconde, où il faut se frayer un chemin "au couteau" -, savoir s'interrompre entre deux bouchées pour entretenir la conversation avec son voisin, être attentif à ce qu'il dit, être prêt à lui répondre rapidement si le sujet y oblige, en évitant surtout de parler la bouche pleine, pour ne pas risquer de laisser apercevoir un paquet d'aliments broyés, tel un fauve qui baille entre deux coups de gueule, oui, tout cela ce ne sont pas d'artificielles conventions de classe, mais des moyens de permettre à notre liberté de dominer plus sûrement la violence qui nous anime, fragment de la violence universelle, et qu'il s'agit de récupérer pour la diriger ailleurs que contre nos autres nous-mêmes, nos voisins, nos frères, mais vers un but... dont nous ignorons peut-être quel il est, cela se peut. Surgi du cosmos, façonné, modelé dans cette substance qui est un perpétuel conflit, une interminable rivalité des contraires, rendu libre d'user du bien et du mal, c'est une grande aventure que chaque homme. |
V - GANTERIE
La crainte de se salir les mains à l'extérieur de chez soi, sans pouvoir ensuite trouver facilement à se les laver, a fait que le port de gants est devenu la règle. Tout le monde ou presque va ganté, de chic (agneau, soie, crochet...), ou d'ordinaire (coton, gros cuir, tricoté...). Le caoutchouc épais est résistant, imperméable et bon marché, mais je lui reproche d'avoir pour inconvénient de provoquer de la macération, laquelle favorise à tout coup chez moi une mycose ou une autre dermatose. Je pourrais l'éviter en prenant la précaution d'enfiler par dessous une première paire de gants, en coton blanc, dits de maître d'hôtel, m'a expliqué mon toubib. Mais, ces deux paires de gants à enfiler successivement, c'est un peu la barbe. Alors, comme beaucoup, je me suis mis aux gants fins, jetables, de chirurgiens, sans latex si possible, ce qui donne une allure un peu bizzare d'Homme Invisible. Cela durera tant qu'il y aura assez de ces gants sur le marché. Déjà, on signale des ruptures d'approvisionnnements par-ci, par-là. |
AGENDA METEOROLOGIQUE (1)
Chacun scrute régulièrement le ciel pour le cas où l'horizon hisserait ses voiles blanches annonciatrices de la fin des temps d'angoisse, comme aurait dû le faire Thésée à son retour. Quand, haut dans le ciel, il arrive que se dessinent des contours nuageux, comme des voiles de mariée, mais très au loin, à l'ouest, on se prend à espérer. Ceux qui ont la chance d'avoir fils, parent, ami, habitant près des côtes de la Manche ou de l'Atlantique, lui téléphonent souvent sur le ciel qu'il fait là-bas. Presque toujours, hélas, il leur est répondu qu'aussi loin que porte le regard on ne voit que la brume qui flotte, la mer qui danse, qu'à l'ouest, rien de nouveau. |
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